19 septembre 2010

J’ai failli mourir

Aujourd’hui, j’ai failli mourir. Je revenais de mon cours de théâtre, à Saint-Michel, par la rue Saint-André-des-Arts.

Arrivé au croisement avec la rue de l’Ancienne Comédie, j’ai aperçu de loin la vitrine du petit restaurant chinois. Je sais qu’il y a dans cette vitrine une sorte de chat jaune métallique, assis sur son derrière, agitant sa patte gauche d’avant en arrière dans un mouvement sans fin, comme pour dire « coucou, viens me voir par ici ! » Je l’aime bien, ce chat, et j’avais envie de le regarder, avant de rentrer à la maison.

Seulement voilà, je n’ai pas trop fait attention en traversant, et un bus m’est passé à deux centimètres en klaxonnant. J’ai fait un bon en arrière et je me suis étalé par terre. Je me suis rendu compte que j’étais affalé sur les jambes d’un monsieur, qui était tombé avec moi. Je me suis excusé, j’étais franchement gêné. Je l’ai aidé à se relever. Il m’a souri, et il m’a dit : ça n’est pas grave, je préfère que tu sois tombé sur mes jambes que sur le rebord du trottoir. Tu aurais pu te fracasser la tête !

Et en effet, sans ses jambes, l’arrière de mon crâne aurait frappé violemment le coin en pierre du trottoir. Je serais peut-être mort.

Ca aurait mis maman drôlement en colère. Elle qui a si peur que je traverse ce carrefour seul, à cause des bus et des voitures !

J’ai salué le monsieur, et j’ai traversé la rue, cette fois en y regardant à 3 fois, et dans le passage piéton. Je suis allé regarder le chat jaune. Et là, devant la vitrine, je me suis mis à pleurer. Oh, rien, juste quelques larmes, que j’ai vite ravalées. Personne ne m’a vu, sauf le chat. Je me suis dit ça, et ça m’a fait rigoler. Puis je me suis senti triste. J’avais eu peur, si peur, plusieurs minutes après l’incident ! J’ai pensé à maman. Je me suis dit qu’elle ne serait pas en colère si je mourrais : elle serait très triste, si triste, et moi je ne voulais pas ça.

Maman, elle en a gros sur la patate, comme elle dit souvent. Alors moi, j’essaie de ne pas l’embêter. Le moins possible. C’est dur parfois, parce que je ne comprends pas toujours ce qui la rend triste, ce qui l’énerve, ce qui la met en colère. Parfois, elle me dit : tu n’es qu’un enfant. C’est vrai, même si je me sens de moins en moins petit. Et aujourd’hui, j’ai un peu grandi en regardant le chat qui me faisait signe. Je suis vite rentré à la maison. Je n’ai pas dit à maman pour le bus. Je lui ai juste dit : j’ai eu un peu peur en traversant le carrefour, mais je fais attention maman, tu sais. Et je me suis serré contre elle. Puis je suis allé à la cuisine pour mon goûter.

03 juillet 2009

Dolce sentimento amoroso

Dolce sentimento amoroso
Deluso, triste, pensieri
Dei momenti gioiosi
Che se ne sono andati
Via, via, via
O, bella, ti stringo
Contro il mio cuore
E ti dico addio
Addio, non mi
Svegliero’ più accanto a te

Maggio 2009

09 juin 2009

Vous vivez ...

Vous vivez comme si vous alliez toujours vivre, jamais votre vulnérabilité ne vous effleure l'esprit, vous ne remarquez pas tout le temps qui est déjà écoulé; vous le perdez comme si vous pouviez en disposer à volonté, alors que ce jour même dont vous faîtes cadeau à une personne ou à une activité, est peut-être votre dernier jour à vivre. Toutes vos craintes sont des craintes de mortels mais tous vos désirs sont des désirs d'immortels.
Sénèque

16 avril 2009

liste noire

Afrique noire
Bernard Lenoir
Bête noire
Broyer du noir
Café noir
Chat noir
Dans le noir
Enluminoir
Entonnoir
Eteignoir
Humour noir
La Tulipe Noire
La vie en noir
Laminoir
Le Rouge et le Noir
Lumière noire
Lunettes noires
Magie noire
Manoir
Marché noir
Mouton noir
Noir aux yeux
Noir désir
Noir et blanc
Noir sur blanc
Noire comme mon âme
Nuit noire
Œil au beurre noir
L’Œuvre au noir
Patinoire
Peur du noir
Prince noir
Renoir
Roman noir
Savon noir
Série noire
Tableau noir
Tamanoir
Trou noir
Urinoir

04 avril 2009

L'adolescent

En 1977, Claude était en 4è. Il avait un copain, Manuel, qui était pour lui grand en taille comme en amitié, et avec qui il traînait souvent. Ils faisaient du skateboard et regardaient des clips à la télé, et ne se préoccupaient pas des filles. Cette période fut une période d’ouverture pour Claude, qui s’intégra avec Manuel à une bande de copains, garçons et filles, avec qui il passait pas mal de temps dans des boums où ils dansaient le rock et le slow. Claude commençait à s’intéresser aux filles, mais cachait ses sentiments par timidité. Lors d’une boum organisée à la campagne chez les parents d’une fille de la bande, Claude décida de se lancer et d’embrasser Nathalie, qui était sa copine quasi officielle dans la bande, bien que rien ne se soit passé entre eux jusqu’alors. Il eu l’audace des timides et attaqua bille en tête, tentant d’arracher un baiser à une Nathalie qui ne contait pas baisser les armes trop vite. Devant l’insistance brutale de Claude, elle lui envoya un verre de jus d’orange à la figure. L’audace de Claude s’envola aussitôt, il en fut mortifié, et rejeta définitivement Nathalie qui tenta pourtant à plusieurs reprises ce soir là de l’embrasser à son tour.

L’été de leurs 14 ans, Claude rattrapa Manuel en taille. Mais quelques mois plus tard, Manuel se mis à pousser et dépassa Claude d’une tête ! Ils ne furent pas dans la même classe en Seconde, et ils se virent moins. Manuel se mis à s’intéresser sérieusement aux filles, tandis que Claude rentra dans une période sombre et solitaire de son adolescence. Il avait toujours été timide et discret, mais à 15 ans, il se referma sur lui-même. Il pouvait ignorer totalement les personnes qui l’entouraient. Son regard était difficile à accrocher. Si l’on tentait de lui parler, il répondait par monosyllabes, rougissait, et très rapidement, se taisait : tout en lui indiquait le désir de rompre le contact et de s’éloigner. Il était terriblement attiré par les filles, mais en avait une peur bleue, depuis l’épisode du verre de jus d’orange. Perdu dans les fantasmes romantiques, il ne passait pas à l’action, persuadé d’être trop laid pour pouvoir jamais séduire qui que ce soit.

Il ne supportait pas qu’on regarde son visage, à cause de son nez, qui avait grandit brutalement. Certains le lui faisait remarquer, et c’était une torture pour lui. Il ne répondait pas aux remarques, faisait comme s’il s’en fichait, mais en réalité, il en était mortifié, comme cette après-midi où, alors qu’il traînait dans une salle inutilisée pendant l’interclasses, au lycée, un type plus âgé l’appela Cyrano. Il se sentait laid. Régulièrement, il se regardait dans le miroir, de côté, pour observer ce nez. Pour constater avec désespoir qu’il était immense.

Et puis il y avait l’acné. Ces boutons qui apparaissaient chaque jour sur son visage, dans son cou, sur son dos, et qui le faisaient souffrir doublement. Physiquement, car chaque bouton était comme une pointe dans sa peau, et moralement, car il était persuadé que tout le monde les regardait. Il subit des années de traitements dermatologiques divers qui lui rendaient la peau sèche et rouge, et qui ne faisaient pas disparaître les boutons pour autant. Sa confiance en soi était en miette.

Ca n’est que des années plus tard, quand, devenu adulte, les remarques sur sont nez se firent plus rare, ou bien qu’il fut capable de les prendre avec recul et humour, qu’il cessa de s’en préoccuper. Il en fit même un motif de satisfaction personnelle : son nez, c’était lui.

L’acné disparu de lui même passé 22 ou 23 ans. Il n’en garda pas de trace sur son visage.

Il finit par s’accepter tel qu’il était physiquement.

29 mars 2009

Un dimanche de silence

C’était un dimanche de silence. Nous ne nous parlions plus depuis quelques semaines. Un email de temps en temps, dans lequel ce qui nous séparait prenait toute la place. Un dimanche de tristesse, mais un dimanche nécessaire pour que chacun puisse se réapproprier sa vie. Il était déjà tard, 18h30 passées, mais il faisait jour. Je sortis de chez moi les mains dans les poches.
J’avais faim d’un flan. Rue de l’Ancienne Comédie, la boulangerie était fermée. Je pris à gauche, rue de Buci, pleine de monde en terrasse. Chez Paul, il n’y avait plus de flan : je pris un chausson aux pommes. Acides et croquants, je les aimais vraiment bien, malgré le côté industriel de la boutique. La fille derrière moi était plutôt jolie et avait l’accent américain. Je type qui servait, avec son bonnet sur la tête, avait aussi l’accent américain, et je trouvais plutôt drôle qu’ils se parlent - avec difficultés - en français.

Je m’engageais dans la rue Dauphine en croquant mon chausson. Au Pont Neuf, je regardais le jardin du Vert-Galant d’en haut quelques instants, et je remarquais une couple qui se bécotait près de moi. La fille me souris, comme en s’excusant de leur manque de pudeur. Un peu plus loin, un type jeune prenait des photos avec un gros reflex. Il était seul et prenait la Seine, ou un lampadaire du pont, avec sérieux. J’avais envie d’une cigarette, mais je voulais attendre le plus possible avant de l’allumer. De l’autre côté, je longeais la Samaritaine, fermée pour causes de "travaux longs", comme indiqué sur de nombreux panneaux apposés sur les vitrines vides. Je traversais et observais, dans la vitrine de Kenzo, de jolies chaussures de ville, avec une petite gravure de fleur dans le cuir noir, qui me fit sourire. Je pensais à cette chemise que tu m’avais offerte, et à ton jean avec une grosse fleur sur la fesse gauche.
Je voulais passer devant l’endroit où j’avais trouvé refuge, en avril, 3 ans plus tôt, quand ma vie prenait l’eau. Rue Saint-Honoré, je passais devant la boucherie « détail et demi-gros » dont les odeurs m’écœuraient le matin, quand je partais au travail. Je m’arrêtais un instant devant le 70, regardant en l’air, cherchant un détail qui me rappellerait cette période. Mais le studio que je louais était sur cours, donc invisible de là où j’étais.

Je traversais le jardin du Forum des Halles. Population mélangée : familles avec enfants, amoureux, touristes, et zonards. De l’autre côté, en haut du tapis roulant qui descend vers le cinéma, je m’arrêtais, tournant sur moi-même dans la foule, comme si je cherchais quelqu’un. Combien de films avions-nous vu là ? Devant le pub irlandais Quigley’s Point, où nous avions bu un verre, un soir, des types en t-shirts faisaient beaucoup de bruit. Rue du Jour, Agnès B. C’est là que j’avais acheté une chemise en popeline bleue pâle que j’adorais, il y a plus de 20 ans. Maintenant, il y a Zadig&Voltaire, Antoine&Lili. Les « & » du boboland parisien.

Rue Montmartre, direction Nord. Un restau italien, la Bocca, où j’avais dîné un soir avec une copine, qui m’avait beaucoup soutenu quand j’étais mal et seul. Je m’en voulu aussitôt de ne pas l’appeler plus souvent. Je rejoignis la rue Montorgueil, noire de monde. Je sentis l’angoisse me gagner, comme chaque fois que je suis seul dans une foule. Ma phobie sociale reprennais le dessus. « Il faut que je change ça, il faut que je change ça. » Le regard des autres ? J’allumais ma cigarette et pris la direction Sud. Little Italy, le Rocher de Cancale. Nous y avions mangé ensemble. Jours gais, jours tristes. Combien de fois avions nous parcouru cette rue, dans un sens ou dans l’autre ? Descente vers les Halles. Au coin de la rue de Turbigo, je vis le café où j’avais pris un petit déjeuner en terrasse, un matin d’avril ou mai : je me souvins d’un oiseau, qui venait béqueter les miettes de mon croissant. Et à peine plus loin, le Palais des Halles, un restau chinois où j’avais commandé une soupe à emporter, un soir tard, transi de solitude, de désespoir et d’angoisse. Traversée du Forum. Je regardais les blousons en cuir en me disant qu'un jour, décidemment, il fallait que je m'en achète un, et m’éloignais quand un vendeur s’approcha.

Fontaine des Innocents : nous nous étions souvent retrouvés là. Jours gais, jours tristes. Je pris un velib, rue des Innocents, et passait au Châtelet, apercevant le café Sarah Bernard, de l’autre côté de la place, où nous avions passé un moment de tristesse. Tu avais bu un Perrier, et moi une bière, je crois.

Ile de la Cité, Palais de Justice : j’accélérais. Saint-Michel, centre de notre histoire, mon cœur et mes jambes battaient sur les pavés, à travers les roues du vélo. Rue Danton et le restau japonais où nous avions souvent dîné et croisé Valeria Bruni-Tedeschi. Je pensais à toi, à notre histoire, aux hauts et aux bas, à la fois inquiet et confiant. Odéon. La station vélib de la rue des Quatre-Vents était pleine, je trouvais une place rue Lobineau. Il était temps de rentrer. J'avais envie de te revoir.

13 février 2009

Point de rupture

« Je ne veux pas que tu prennes mon doudou ! Il est à moi !»
« Tu peux bien me le laisser, tu ne l’utilises même pas ! »

Ce soir comme tous les soirs, Paul et Aurélia se disputent Nonette, la grosse oursonne en peluche d’Aurélia. Le père vient les séparer mais Aurélia pleure : l’œil de Nonette, un bouton en nacre noire, a été arraché dans la bagarre. Il faut dire qu’il ne tenait plus que par un fil. Le trou par lequel Nonette perd de la ouate depuis quelques temps s’est agrandi. Le père a mis les enfants chacun dans son lit respectif. Puis il câline la petite fille, et explique aux enfants que quand on tire sur quelque chose de fragile, ça casse, et qu’il faut être doux avec les choses fragiles auxquelles on tient.
Il leur parle aussi du partage, de l’importance d’être généreux avec les autres. Aurélia ne comprend pas, elle dit : « mais elle est à moi, Nonette ! » Alors le père répète. Les enfants posent des questions : « pourquoi c’est si important d’être généreux ? Est-ce que les gens généreux vont au ciel quand ils sont morts? Est-ce que maman était généreuse ? ». Le père dit oui, puis il embrasse les enfants et éteint la lumière.
Il sort de la chambre, mais Paul appelle : « ouvre plus la porte s’il te plait papa, et laisse la lumière dans le couloir ».
« Alors juste un peu plus ouvert, mais j’éteins la lumière. »
« d’accord papa, j’ai les étoiles dans mon ciel pour m’éclairer »

Le père souris : les étoiles fluorescentes au plafond, juste au dessus du lit de Paul, c’était une bonne idée de leur mère.

Il va dans la salle de bain, et, en prenant du dentifrice, il renverse sa bombe de gel à raser et un tube de rouge à lèvres. La voix de sa femme lui revient en mémoire, quand elle appliquait ce rouge sur ses lèvres devant la glace et disait : « dépêche toi de te préparer, chéri, ce soir, c’est notre soirée ; la baby-sitter ne va pas tarder à arriver »

La femme et la mère, comme elles lui manquent !

Dans la glace, il se rend compte qu’il a saisi machinalement un bonnet de piscine de Mona. Il se le met sur la tête et se fait des grimaces. Elle n’aimait pas quand il faisait le pitre devant la glace, juste avant de sortir, elle le houspillait, lui disait « aller aller ! » Alors, il se dit qu’il devrait sortir à nouveau, voir un peu du monde. Il pense à Mona et il sourit.

07 novembre 2008

Bleu canard

Appuyé contre la portière de la voiture, il regarde, inquiet, dans la direction du chemin de sable sale qu’il a emprunté ¼ d’heure plus tôt. Quand il voit quelqu’un arriver, il se baisse derrière la voiture pour ne pas être vu. Il sait bien qu’il a fait une bêtise, il sait bien qu’il va se faire gronder. Pour la 3è fois, il entend une voix d’homme, dans un haut-parleur lointain, qui dit : « on recherche un petit garçon avec un maillot de bain bleu canard ». Il sait qu’on parle de lui. Il pourrait reprendre le chemin de sable sale, tenter de les retrouver, mais il reste là, espérant qu’ils viendront, persuadé qu’ils ne viendront pas, et il n’ose pas bouger, regarde ses pieds, trace une lettre dans le sable du bout de son pied nu. Il y avait cette foule, au bord de l’eau, qui lui faisait peur. Et puis ses parents, ses sœurs, et ses deux petits frères, dont sa mère s’occupe tout le temps. Son père, il n’est jamais là, toujours en voyage, et quand il est là, il ne supporte pas les cris des enfants. Soit il lit son journal dans son coin, soit il crie lui-même. Le petit garçon se dit qu’il ne les verra plus, qu’ils ne le retrouveront pas. Il se dit que tout le monde s’en fiche qu’il soit là au lieu d’être avec tout le monde sur la plage ; sinon, ils seraient venus le chercher, près de la voiture. Il ne leur sert à rien : il n’est ni petit, ni grand, il est empoté, comme dit sa mère, et il ne sait pas les choses que son père voudrait qu’il sache. Comme il ne les sait pas, son père crie et lui fait peur. Sans doute qu’ils vont l’oublier. Il s’accroupit, près de la voiture fermée à clé, et il entend encore une fois l’homme du haut-parleur qui parle d’un petit garçon avec un maillot de bain bleu canard. Il repense à cette visite chez le médecin avec sa mère, quelques jours plus tôt. Le médecin lui avait demandé : « alors, qu’est-ce qui t’arrive mon garçon ? » Mais sa mère avait répondu à sa place, avait parlé d’elle, de sa famille, de son propre père médecin, de ci et de ça, et il avait ressenti de la colère, mais il ne savait pas pourquoi. C’était déjà une chance qu’elle soit avec lui et pas avec ses petits frères. Alors, chez le médecin, il s’était tu, et devant la voiture, en maillot de bain bleu canard, il se tait et regarde fixement vers le chemin de sable sale.

26 septembre 2008

La chemise bleue

Ma belle chemise bleue, je te dis adieu. C’est décidé, demain tu pars à la poubelle. Tu es toute tachée, toute déchirée, et ça fait des mois que je te porte plus. Mais je t’ai gardée longtemps dans mon placard, accrochée à un cintre, et souvent, en ouvrant le placard, j’ai fait ce geste de t’effleure au col, comme Maud le faisait quand je te portais.

Tu es si douce, en popeline bleu ciel. C’est Maud qui t’avait trouvée dans une friperie. Nous nous connaissions encore si peu ! Elle t’avais offerte à moi, un jour de mai, il y a 5 ans. Je t’avais tout de suite adoré, tu étais si douce sur ma peau. J’avais fait ce geste de laisser mon index parcourir la point du col devant Maud, et elle l’avait remarqué. Elle avait pris l’habitude, chaque fois qu’elle m’embrassait, de faire ce même geste, sensuel et tendre.

Le jour où elle était venue habiter chez moi, elle m’avait poussé sur le lit et avait tiré si fort sur toi que trois boutons avaient sauté. Je ne suis pas très doué pour la couture, et Maud non plus. J’avais remis deux des trois boutons en place, mais je n’ai jamais retrouvé le dernier, celui du bas.

Pendant l’été, il y trois ans, nous avions fait un tour en barque sur le lac d’Annecy. Je ramais, et tu t’étais prise dans le siège coulissant, qui avait fait une déchirure dans le tissu. Maud avait dit : ça n’est pas grave, je t’en achèterai une autre. Mais elle ne l’a pas fait.

L’année dernière, Maud et moi, nous nous sommes disputés, pour la dernière fois, chez des amis. En plein dîner, elle s’était levée, et elle m’avait jeté son verre de vin rouge à la figure. Les tâches dont tu fus constellé ne sont jamais parties au lavage. Maud, elle, est partie. C’était il y a un an.
La dernière fois que je t’ai mise, c’était pour peindre mon nouvel appartement. Voilà, tu vois, tu as fait ton temps, ma jolie chemise bleue, adieu. Je penserai souvent à toi, en regardant cette photo prise un jour sur le lac d’Annecy où nous étions tous les trois, toi, Maud et moi.

19 septembre 2008

Je me souviens du froid

Je me souviens du froid qu’il faisait quand on se réveillait. Nos chambres étaient sous les toits, et l’air froid passait par les jointures des fenêtres et par la tôle du toit mal isolé. Le chauffage était coupé, la nuit, et les couvertures de laine glissaient souvent sur le côté du lit.
Au bruit du réveil, on se pelotonnait, on s’enroulait dans le drap, dans les couvertures qu’on mettait en boule pour boucher chaque espace où le froid nous piquait, et on fermait les poings et le yeux, pour garder encore quelques instants la douceur de nos rêves.
Puis notre mère passait dans chaque chambre, elle criait : « debout ! allez allez ! », et on se levait à contre-cœur. On attrapait des vêtements dans le placard, on s’habillait vite, mais les chaussettes coinçaient, un fil entre les doigts de pieds, et il fallait s’y prendre à deux fois.
On s’engueulait un peu pour accéder aux toilettes, les plus grandes avaient toujours l’avantage sur les plus petits.
On descendait les escaliers pour aller prendre le petit déjeuner. Mes deux petits frères, eux, glissaient, assis sur les marches, dans leur turbulette.
Le bas de l’appartement était moins froid, ma mère faisait chauffer du lait qui souvent débordait. On prenait un chocolat chaud, du cacao Van Houten auquel on ajoutait du sucre et du lait, qui faisait une peau en surface du liquide si on le laissait refroidir.
Quand il n’y avait plus de lait, notre mère en fabriquait, avec du lait en poudre et de l’eau, ou avec du lait concentré non sucré gloria en boite de conserve. Nous adorions manger la poudre de lait, qui séchait instantanément la bouche et qui crissait sous les dents. A chacun de ses voyages, notre père nous ramenait des petites pochettes de lait en poudre pris dans les avions.
Nous faisions griller du pain sur une plaque posée sur le gaz : les tranches de pain étaient souvent brûlées, ça ne pardonnait pas d’oublier de les retourner ou de les retirer du feu. Nous mettions du beurre, de la confiture prise dans un grand pot, où la cuillère tombait, et on s’en mettait plein les doigts. Notre mère nous disait : « papa sera là la semaine prochaine ».
Puis on partait en courant pour l’école en claquant la porte, qui vibrait comme un gong pendant plusieurs secondes.

06 mars 2007

Lise

Lise s’allongea sur le grand sofa couvert de coussins dorés et poussa un soupir de bien-être.
Tout se passait à merveille : le voyage en jet privé, la limousine à l’aéroport, le trajet final à dos d’éléphant jusqu’à ce palais indien au milieu de la jungle, et cette suite si luxueuse. Et Georges, si prévenant. Il y avait eu ce tigre, en chemin, qui, du haut d’un arbre, s’était jeté sur elle : de sa voix grave et puissante, Georges avait arrêté le fauve en plein bond, et celui-ci s’était allongé par terre, comme un gros chat. Elle ferma les yeux et perçu l’odeur de brûlé, dans la cuisine. Elle bondit sur ses pieds et se précipita pour éteindre le four. Endives au jambon gratinées. Trop gratinées. Lise se dit que Paul détestait le gratiné trop gratiné. C’était lui qui faisait la vaisselle le soir, alors c’était bien comme ça. Elle ouvrit le réfrigérateur américain, en sorti une caïpirinha, et se dirigea vers la piscine, à l’extérieur du bungalow. Il faisait nuit, mais l’air était si chaud qu’elle décida de se tremper jusqu’à mi-cuisses. Elle aperçu la silhouette athlétique de Jean, qui la rejoignit dans l’eau sans bruit. Il posa sa main sur son épaule. Elle frissonna, et décrocha le téléphone qui lui déchirait les tympans depuis 10 minutes.
« Allo ? C’est moi ! »
Elle reconnu sa mère. Elle détestait sa façon de dire « c’est moi », comme si Lise n’attendait que son coup de fil, comme si elle n’avait pas d’amis, de relations qui puissent l’appeler, comme si la ligne même appartenait à sa mère ! Comme à chaque fois, elle répondu « c’est qui, moi ? » Et comme toujours, le roulement continu des mots de sa mère envahit son oreille, tout l’espace sonore, l’univers entier, et elle posa le récepteur sur le sol, démarra en trombe sa Range Rover, écrasa l’appareil, la voix de sa mère, sa mère, et s’en alla rejoindre Luc qui l’attendait sur son yacht à Ibiza.

06 février 2007

Valérie

En rentrant chez moi, je tombais sur un mot glissé sous ma porte.

L’écriture sur l’enveloppe m’était inconnue. Féminine probablement, à en juger par la forme des lettres, ou la couleur de l’encre, violette. L’enveloppe n’était pas fermée, et le bristol qu’elle comportait ne portait que quelques mots : « Samedi soir chez Jeanne, nous avons parlé d’Italie ». C’était signé Valérie. Il y avait un numéro de téléphone.

La soirée chez Jeanne me revint en mémoire. La musique, très forte, la fille brune, près de la fenêtre, qui me souriait. Elle m’avait dit : « je m’appelle Valérie », mais j’avais compris Valeria, à cause du bruit et de ses cheveux noirs, peut-être. Alors, je lui avais demandé si elle était Italienne, et la conversation avait duré deux heures durant. Jusqu’à ce que je me trouve emporté brutalement par la foule compacte dans une danse qui se prolongea. A mon grand regret, je perdis Valérie de vue et sans doute quitta-t-elle la soirée. Jeanne la connaissait à peine, c’était une amie d’amie.

Sept jours passèrent, avant que je trouve ce mot. Le parfum, sur le papier, était celui que j’avais perçu, quand, pour mieux l’entendre dans le vacarme ambiant, j’avais du me pencher vers elle, tout près, et approcher mon oreille de sa bouche. Dans cette position, j’avais observé le coin de ses lèvres, sa joue et le lobe de son oreille gauche, les boucles de ses cheveux sombres, et la base de son cou. Cette image était vivement présente à mon esprit quand je composais le numéro.

Ce soir, en rentrant chez moi, je suis tombé sur un mot glissé sous ma porte. J’ai reconnu l’écriture sur l’enveloppe, l’encre violette. L’enveloppe n’était pas fermée, et comme à son habitude, Valérie avait écrit un court mot sur un bristol. Pendant sept années, Valérie m’a ainsi laissé des mots d’amour, des mots de jalousie, des mots de folie, des mots de rage. Ce soir, sur le bristol, ces quelques mots étaient écrits : « ce soir, à 18h, chez le juge, n’oublie pas de prévenir ton avocat ».

09 janvier 2007

Le poids des mots

Je n’ai jamais été à l’aise pour lire debout. Qui aurait envie de le faire ? Il faut y être contraint pour se mettre dans un tel état d’inconfort. Dans une rame de métro bondée, il peut arriver que pour échapper au sentiment d’oppression, je tente de me plonger dans l’univers d’un livre. Mais gare à moi s’il n’est pas dans une de ces éditions de poche que l’on peut tenir d’une seule main : les cahots, les bras des voisins qui s’agrippent aux barres et vous passent sous le nez, les yeux indiscrets qui lisent derrière votre épaule, les mouvements des voyageurs qui montent et descendent, tout concourt à vous rendre la chose difficile.

Nul doute que ma position préférée est la position allongée, sur le dos. Etrange, me direz-vous. On a les bras en suspension, et là encore, il vaut mieux un petit livre qu’un gros pour ne pas fatiguer. Et pourtant ! Malgré le risque de crampe, j’ai lu, adolescent, les œuvres complètes de Proust en édition Pléiade dans cette position. Le livre m’est tombé des mains plus d’une fois, mais je n’ai pas baissé les bras pour autant. Ce livre en papier bible dégageait une odeur tenace, caractéristique, comme tous les Pléiade neufs que j’ai pu lire. Si je fermais les yeux et que je tendais la main vers la pile de livres qui trônait au pied de mon lit, et que j’attrapais celui-ci par hasard, en le portant à mes narines, je savais tout de suite que c’était lui. Quand je lisais dans mon lit, je tenais le livre le corps légèrement tourné sur le côté, un bras en l’air, l’autre venant en support dans une sorte d’étayage qui me permettait de tenir plus longtemps. Régulièrement, je changeais de côté. Après quelques heures à ce rythme, mes yeux me piquaient du fait du manque de bon éclairage et du sommeil. Alors je posais soigneusement le lourd objet sur la pile, par terre, et mes bras endoloris en devenaient tout légers ; je les laissais enfin se reposer et se détendre, en fermant les yeux sur l’histoire que je venais de quitter.

A Noël et à mon anniversaire, en janvier, je recevais des gros livres : œuvres complètes, essais, dernier roman d’un auteur que mon père ou l’un de mes sœurs voulaient me faire découvrir. Les nuits qui suivaient étaient forcément longues, et malgré le froid de l’hiver, j’étais en sueur au fond de mon lit, du fait de l’urgence de tourner les pages.

L’été et les vacances ont toujours été associés aux lectures en plein soleil. Là encore, c’est la position allongée qui prévaut – dans un hamac ou sur une chaise longue. Et là encore, j’ai passé de longues heures, muscles des bras tétanisés, à lire un best-seller bien épais. L’avantage du hamac est qu’il est accroché à deux arbres qui font de l’ombre, et qu’on aisément déplier le bras pour reposer le livre sur sa cuisse, fermer les yeux, et se laisser emporter par le souffle du vent sur la peau nue, le léger mouvement de balancier qui vous berce, et les bruits alentour filtrés par la ouate du tissu sur lequel est collée l’oreille. En un rien de temps, on part dans une rêverie.

15 décembre 2006

Venise, bateaux à la Dogana

Posted by Picasa

C’est à Venise, un jour de printemps, un peu frais, avec un beau soleil, quelques nuages épars dans un ciel bleu sombre au sud, de la brume au nord. Je suis posté, à l’embouchure du Grand Canal, à deux pas de la Dogana, près de la pointe de la Salute, avec la Guidecca et San Giorgio au fond, et le Lido comme un trait kaki au-delà, entre l’eau et le ciel.

L’eau est verte, bleue, jaune, et même blanche du côté de San Marco : c’est la brume, sans doute, qui s’y reflète. On distingue toutes sortes de traits et de tourbillons laissées par le pinceau et ces mouvements montrent les courants, la trace des bateaux, l’agitation de l’eau tout autant que celle du peintre. Les bateaux, justement, sont de formes et de types variés : gondoles, navire de transport à vapeur doté d’une imposante cheminée jaune, barques à rames, à voile ou motorisées transportant matériaux et marchandises, et même un deux-mâts de plaisance.

Le vent, les clapots, les bruits des moteurs et les cris des hommes envahisse l’espace, et en fermant les yeux, on entend les cloches d’une des innombrables églises de la ville.

J’ai faim. De mon poste d’observation, au deuxième étage de la maison qui m’accueille, je sens les bonnes odeurs qui sortent de la cuisine, au rez-de-chaussée. Si je baissais le regard, je verrais le quai des Zattere et la fumée, par fenêtre de la cuisine Aujourd’hui, c’est rizotto à l’encre de sèche. Je le sais, car mon hôtesse m’a encore invité de matin. Mais c’est mon douzième jour à Venise et j’ai eu l’occasion de goûter à ses plats délicieux, mais elle les accompagne de tellement de discours que je préfère fuir et prendre mon repas dans l’anonymat d’un lieu public particulièrement fréquenté. J’ai mes habitudes dans une petite taverne, près du campo Santa Margherita, à quelques minutes de marche.

On est en 1924 et les touristes comme moi sont peu nombreux. Ma taverne est donc pleine de Vénitiens, pêcheurs et marchands à l’accent zézayant, qui mangent des plats simples à base de riz et de fruits de mer, accompagnés de vin blanc de la région de Vénétie.

Je fais comme eux, et je les observe tranquillement de ma table, que je choisis toujours près de la porte, afin d’avoir le plus de lumière naturelle possible, car la taverne est fort peu éclairée de l’intérieur. Après avoir mangé, je reste à long moment à écrire. Mon roman avance bien. C’est fou comme c’est facile de raconter la vie de personnages totalement étrangers à ce lieu. Mon héros vis entre Paris et la Normandie, c’est un intellectuel engagé dans le combat contre le fanatisme religieux, alors que je suis entouré de rufians qui ne manquent jamais de se signer devant la petite statue de la Vierge éclairées par une bougie qui occupe une niche à l’entrée de la taverne. Elle est jolie, cette Vierge, avec ses vêtements colorés et son air si doux. Elle me rappelle la jeune madame V., que je vais rejoindre à 3 heures par une arrière-porte de son palazzo du quartier San Polo, et à qui je vais donner des leçons de français par l’imposition des mains. Elle fait beaucoup de progrès, à mon grand plaisir. Je crois bien que son mari me sera un jour reconnaissant de cet enseignement. Par chance, il passe l’essentiel de son temps dans ses terres près de Padoue, ce qui nous laisse tout le temps d’approfondir les subtilités de la langue. Vers 6 heures, je vais traîner dans quelque café, où je gratte quelques feuillets de plus devant une de ces boissons amères, orange, au nom autrichien que je ne peux retenir.

Puis je retourne me changer dans ma chambre, observe à nouveau ce paysage d’eau et de ciel, maintenant dans l’obscurité, et file participer à un de ces dîners ou fêtes comme seuls les habitants de cette cité décadente savent en organiser. Je me couche aux petites heures du matin, en rêvant à un lendemain aussi parfait qu’aujourd’hui.


25 novembre 2006

La claque

« Petit voleur ! »

La claque qui accompagna ces mots marqua brutalement, et pour longtemps, la relation que j’eus avec mon grand-père. De ce jour, je me mis à le craindre.

Je devais avoir 3 ans. Dans la grande villa de province de mes grands-parents, les meubles étaient de bois vernis ou ciré. La salle à manger comportait une immense table, qui occupait l’essentiel de l’espace, et un gros buffet dans un coin. J’adorais les Tucs, ces biscuits d’apéritifs, dont le goût me semble un peu fade aujourd’hui. Mes grands-parents en gardaient dans le buffet, qui se fermait avec une grosse clé en fer. J’avais observé que cette clé était déposée dans un pot, accessible à un enfant de 3 ans monté sur une chaise. J’avais alors le goût de l’exploration et de la logique : chaise+pot=clé ; clé+serrure du buffet = Tucs.

Ravi, je pus dévorer les fruits de ma sagacité, assis sur le parquet. Mais pas pour longtemps : la colère de mon grand-père y mit fin.

Mon grand-père était un vieil homme sec, à la moustache drue et piquante, couleur poivre et sel, et aux cheveux blancs, peignés avec soin. Il n’était pas toujours effrayant. Il pouvait passer du temps avec l’un de ses petits enfants pour lui expliquer les secrets d’une de ses nombreuses passions, comme la rame en yole sur le lac du Bourget ou la culture des poires.

A la villa, la horde des enfants, frères, sœurs, cousins et cousines, mangeait avant les adultes, dans une salle attenante à la cuisine, où officiait Marthe, la cuisinière, qui nous préparait sa délicieuse « crème à l’envers », et toutes sortes de gratins. Elle disposait d’un four à charbon, qui me paressait immense, et qu’elle nourrissait de boules noires, à partir d’un grand broc qu’il fallait remplir à la cave.

Lors du repas des adultes, les enfants jouaient dans le parc, mais il m’arrivait de rentrer dans la salle à manger et de me glisser entre mes parents, les yeux arrivant tout juste à hauteur de la table, pour observer l’assemblée en silence. Du silence, il y en avait. D’un ancien ulcère à l’estomac, mon grand-père avait pris l’habitude de mâcher longuement les aliments. Et de son passé de patron de médecine, celle d’être écouté religieusement par ses disciples. Autour de cette table, où il régnait sans partage, en vrai pater familias, chacun était pendu à ses lèvres : filles et fils, beaux-fils et belle-fille. Personne n’osait l’interrompre, et ses discours allaient au rythme de sa mastication.

Ma mère observait une véritable adoration à son égard. On aurait dit que mon grand-père nous accompagnait dans tous nos déplacements chez le médecin. A peine la question « qu’est-ce qui ne va pas mon petit » posée par celui-ci, ma mère prenait la parole pour l’informer de sa filiation avec Jacques F. rhumatologue de renom, que son interlocuteur disait immanquablement connaître. J’étais fier d’avoir un grand-père apparemment reconnu, mais en tant que malade, il était clair que je n’avais pas le droit à la parole, ce qui avait pour effet de me frustrer grandement.

Il est mort il y a 28 ans. Je suis tombé il y a peu sur un petit document militaire de la guerre de 14-18 le concernant. Je savais qu’il avait fait cette guerre comme médecin, mais j’ai découvert alors, avec une grande fierté, qu’il avait reçu de nombreuses citations pour sa bravoure à sauver des vies humaines.

14 novembre 2006

J’avais pris une femme de ménage

« J’avais pris une femme de ménage », dit l’un des deux flics qui bavardaient et se foutaient bien de moi, derrière ma grille.

Moi, j’avais l’impression d’avoir un zoom géant sur les yeux, en avant, en arrière, en avant, en arrière. J’étais tout juste assez conscient pour savoir que j’étais bourré comme un coin, et je devais m’agripper fermement à la grille pour que le monde arrête de tanguer.

Le gros flic de droite, je le reconnaissais. C’était le flic à vélo qui m’avait ramassé dans la rue, alors que je m’étais cassé la figure en essayant de rouler sur le mien, de vélo, tandis qu’il était toujours attaché à la grille du square. Il portait un casque de cycliste, et vu de par terre, il ressemblait à un œuf avec un flic dessous. Il m’avait soulevé gentiment, mais c’est quand je lui ai repeint les chaussures qu’il s’est fâché. Il m’a fait marcher jusqu’au poste et il m’a enfermé. A présent, il discutait tranquillement avec l’autre, un maigre à casquette de flic. Moi, j’appelais, mais ils ne me répondaient pas, trop absorbés à parler repassage et balais-brosse. Ce qui devait arriver arriva : je vomis pour la seconde fois sur les chaussures du gros, à travers la grille. Il m’engueula copieusement, et passablement abattu, je lâchais la grille pour aller m’allonger sur l’espèce de bas-flanc qui occupait un mur de la petite cellule. Je sombrais instantanément.

Le lendemain, je le réveillais dans la même position, avec un mal de crâne comme si on m’avait enfoncé un clou long comme ça dans le ciboulot. Et même toute une boîte de clous longs comme ça. Il me fallut une bonne demi-heure pour que le flic de service – pas un de ceux de la nuit, un nouveau à casquette – accepte de m’ouvrir, me fasse remplir une déclaration, et me relâche dans la nature, enfin sur le boulevard, à quelques 100 mètres du square où je retrouvais mon vélo. Enfin, pas tout mon vélo. On m’avait piqué ma selle. « Ah ! Les salauds ! », lâchais-je aux pigeons du square, qui me regardaient d’un œil rond, avec ce petit mouvement de cou caractéristique des pigeons qui se disent : ce type s’est fait piquer sa selle. De dépit, j’allais m’affaler sur le banc. Je retrouvais par terre la bouteille de whisky que j’avais vidé la veille au soir. « Eh ben, », dis-je aux pigeons, « maintenant qu’elle est partie, il va falloir que je trouve un femme de ménage ».

12 novembre 2006

Exercices de style

Le cycliste:

Un soir d’hiver, alors que je circulais en vélo dans une petite rue à sens unique mal éclairée du quartier de l’Opéra à Paris, j’aperçus devant moi, sur la chaussée, traversant la rue de gauche à droite, une femme tenant par la main deux petits enfants. J’étais à 15 mètres environ, et m’apprêtais à les éviter, quand j’entendis derrière moi le vrombissement d’un moteur de deux-roues. Je tournais la tête et vis en un clin d’œil un gros scooter piloté par un type sanglé dans un manteau marron, portant un casque intégrale et des gants de cuir. Il me frôla par la gauche, et en le suivant des yeux, je vis que sa trajectoire croisait celle de la femme et des enfants, qui avançaient tout droit à travers la rue, sans un regard pour la circulation. Je poussais un cri et fis un écart, manquant de peu de tomber.

Une seconde plus tard, le scooter était déjà loin, et la femme et les enfants avaient traversé sans encombre, par miracle. Ils avaient rejoint un homme, qui tenait ouverte la porte d’une voiture et semblait les attendre. En les dépassant, j’entendis celui-ci interpeller la femme avec colère, lui disant « tu es encore en retard ».

Je frissonnais en appuyant sur les pédales pour continuer mon chemin.

La maman :

Je te raconte pas : quand tu m’as appelée l’autre soir, j’étais chez ma belle-mère pour récupérer les petits. Je lui ai demandé de les habiller mais quand je t’ai laissée, Flore avait son manteau mais pas ses chaussures, quant à Jules, il n’avait ni manteau (impossible de mettre la main dessus) ni chaussure au pied droit. Et sur le gauche, la chaussure droite. Tu connais ma belle-mère : toujours aussi peu débrouillarde, il a fallu 10 minutes pour finir d’habiller les enfants et prendre l’ascenseur. Pierre attendait dans la rue en double-file depuis 20 minutes, et tu connais Pierre : il a horreur d’être mal garé. Alors nous avons couru pour le rejoindre, de l’autre côté de la rue. Et là, tiens-toi bien, il m’engueule carrément ! Tu le connais, il est vraiment impatient, mais là, il n’avait qu’à demander à sa mère de faire un effort, non ? Ah, et puis tu sais quoi ? Dans la rue, il avait un type à vélo, très bizarre : il a poussé un cri, a manqué de s’étaler, et puis il s’en est allé. Je te jure, je n’ai rien compris.

Jules :

Maman, elle est trop énervante. Elle n’arrête pas de téléphoner à ses copines, et pis après elle nous crie dessus.

Elle dit : mets tes chaussures, mets ton manteau, et elle écoute même pas quand je lui dis que j’l’ai pas, mon manteau. Et pis, comme elle m’a pas donné mes chaussures à scratch, celles qui courent vite, j’y arrive jamais à mettre celles à lacets. Elle est énervante. Et pis même sur Mamie, elle lui crie sur elle, alors que déjà, avec Flore, on lui a crié sur elle tout l’après-midi, et que Mamie, elle nous a dit à mercredi prochain, mais elle avait son air de quand elle a pas trop envie que ce soit mercredi prochain, parce qu’avec Flore, on l’a un peu fatiguée. C’est normal, les vieilles personnes, comme ça va mourir, c’est souvent fatigué, c’est ce que maman elle a dit à papa une fois que Mamie a dit qu’elle était fatiguée.

Après, on est parti, et moi j’ai voulu appuyer sur tous les boutons de l’ascenseur parce que c’est rigolo, mais maman elle a fait les gros yeux et elle a dit que c’était pas rigolo, alors j’ai marché sur les pieds de Flore, et elle a crié et maman aussi.

Après, dans la rue, on n’a même pas traversé au passage piéton, et on a failli se faire écraser par une moto, et on était en tort, c’est maman qui dit toujours ça quand on traverse pas au passage piéton, mais là c’était sa faute si on était mort.

Y a même un monsieur en vélo, quand il a vu qu’on était en tort, il a crié, et il était tout affolé, il a même failli se casser la binette.

Après, papa il a crié sur maman, et on est rentré.

28 octobre 2006

Le téléphone noir

C’était le soir. J’étais assis sur un haut tabouret, les deux coudes appuyés sur le bar qui séparait la cuisine de la salle-à manger. Le couvert était mis, et la cocotte emplissait l’air de vapeur, de bruit et d’odeur de soupe.

A ma gauche, ma mère se tenait debout, absorbée dans une conversation téléphonique. De sa main gauche, elle tenait le combiné du vieil appareil noir, en bakélite, lourd, dont le fil s’emmêlait jusqu’au sol.

Il venait toujours un moment où elle s’emparait d’un stylo pour prendre une note dictée par son interlocuteur. Absorbée par la conversation dont je ne percevais que la moitié, elle laissait toujours sa main droite pren,dre sa liberté et se mettre à griffonner. Le plus souvent, elle traçait des figures géométriques simple dont elle repassait les contours encore et encore, en appuyant bien fort comme pour souligner ses propos. Parfois, elle représentait un personnage, qui se chargeait de plus en plus pour devenir presque indistinct à force de remplissage, d’à-plats, et, là encore, de traits passés et repassés avec force.

Je me tenais tranquille, porté par les bruits environnants, au point de sentir la torpeur, agréable, m’envahir.

Sauf si la personne au bout du fil était mon père. Je le savais tout de suite à l’attitude de ma mère, à sa voix, et finalement au prénom qu’elle prononçait. Alors, je m’approchais d’elle, et je m’emparais du petit écouteur rond posé sur son support à l’arrière du téléphone. J’écoutais la voix de mon père qui appelait d’un pays lointain. Venait le moment où j’avais le droit de parler à mon tour. J’utilisais mon écouteur comme un micro pour raconter les événements de ma journée, tandis que ma mère allait baisser le feu sous la cocotte ou tourner une cuillère dans une casserole. Puis elle revenait pour me dire : maintenant c’est fini. A cette époque, les conversations téléphoniques étaient courtes, toujours trop courtes pour l’enfant que j’étais.

Une fois le combiné et l’écouteur raccrochés, ma mère appelait à table mes frères et sœurs.

21 octobre 2006

1001 nuits

Assis sur un pouf brodé de fils d’or, le calife Haroun Al-Rashid regardait ses babouches d’un air sombre. Le vizir Giafar connaissait son maître, et savait comment le sortir de sa mélancolie. Il sourit et dit : « Harouna, mets donc ce vêtement, il sera parfait pour notre petite virée. Je t’emmène faire un tour en ville. »

Le calife ouvrit de grands yeux. Non pas qu’il fut surpris par le la familiarité du vizir : c’était la règle dans ce genre d’entreprise. Pour ne pas se faire remarquer, les deux hommes se devaient de se comporter comme deux égaux, hommes du peuple parmi le peuple. Ce qui surpris le calife, c’était le prénom utilisé par Giafar. Un prénom féminin. Et le vêtement, une longue robe bleue de femme. Il eut un frisson.
Avant même qu’il puisse protester, deux serviteurs silencieux lui enfilèrent de force le vêtement par la tête. Haroun, alias Harouna, se retrouva engoncé dans ce tissu qui lui couvrait l’ensemble du corps, des semelles à la dernière boucle de ses cheveux. Seules ses mains dépassaient des longues manches, et il n’avait pour voir qu’une fente large d’un demi-pouce, approximativement située au niveau des yeux. Au premier pas qu’il fit en grommelant, il se prit les pieds dans un pli de sa robe et s‘étala par terre. Fort heureusement, le sol était couvert d’épais tapis. Le vizir y avait veillé, connaissant son maître, qui avait fait couper des têtes pour moins que ça. Il l’aida à se redresser, puis frappa des mains : aussitôt apparurent deux servantes. Avec une grande célérité, elles dessinèrent au henné sur chacune des mains potelées du souverain des motifs serrés qui cachaient habilement les poils qu’il avait sur le dos de la main et jusque sur les phalanges. Giafar, vêtu d’une robe jaune, se prêta au même camouflage.
Une fois terminés ces préparatifs, le vizir attrapa son maître par les épaules, le fit se lever, et d’une bonne tape appliqué sur son postérieur, le fit se tourner vers le grand miroir qui occupait tout un mur de la petite pièce. Les deux plus important personnages de l’Etat contemplèrent pendant de nombreuses secondes l’improbable couple qui se dressait devant eux : deux rombières des faubourgs de Bagdad, l’une, bleue, petite et grosse, l’autre, jaune,  inhabituellement grande et maigre.

« Appelle-moi Giafara » dit la forme en jaune en souriant des yeux. Et d’une nouvelle tape sur le derrière de sa compagne, elle l’entraîna par une porte secrète, dans un couloir à peine éclairé, qui se terminait par une autre porte qui s’ouvrit.

Elles se retrouvèrent dans une rue de la ville, et se mêlèrent à la foule. Harouna avait du mal à respirer sous sa coiffe et n’eut pas le temps de se plaindre que Giafara lui envoya un coup de coude dans les côtes pour lui intimer de se taire : même dans ce coin de la ville, la grosse voix du calife ne pouvait certes pas passer pour celle d’une femme.
C’était le soir, et la rue était encombrée de ces personnages qu’on trouve dans les contes orientaux : mendiants, marchants d’épices, charmeurs de serpents, musiciens, montreurs d’ours… Dans ce tumulte, Harouna ne vit pas l’étal d’un quincaillier, à même le sol. Il heurta du pied un objet qui lui arracha un juron. Il s’écarta pour éviter la bourrade de Giafara, et ramassa l’objet. C’était une vieille lampe à huile poussiéreuse. Il l’essuya d’un revers de la manche…

15 octobre 2006

Sur le bout de la langue

Pendant les cours de math, j’avais pris l’habitude, à chaque fois que je n’y comprenais rien, de mettre dans ma bouche le bouchon de mon stylo à bille. Il possédait un bord plat et coupant, que j’appliquais sur ma langue à m’en faire mal. Cette sensation avait pour effet de me réveiller de ma torpeur, et je pouvais alors tenter de reprendre le fil des explications du professeur.
Un jour, j’appuyais trop fort, et je sentis dans ma bouche le goût acre de mon sang. Je décidais alors de ne plus utiliser le bord coupant, mais plutôt d’appuyer l’extrémité ronde et trouée du bouchon sur le bout de ma langue. L’effet en était moindre mais je m’en contentais. Je me mis ensuite à mordiller l’ensemble du bouchon pendant de longs moments. Cette activité avait l’effet inverse de la précédente : associée à la mélopée du professeur, elle accentuait mon envie de dormir. Un jour, bouchon au coin de la bouche, je m’assoupis sur la table…
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