21 octobre 2006

1001 nuits

Assis sur un pouf brodé de fils d’or, le calife Haroun Al-Rashid regardait ses babouches d’un air sombre. Le vizir Giafar connaissait son maître, et savait comment le sortir de sa mélancolie. Il sourit et dit : « Harouna, mets donc ce vêtement, il sera parfait pour notre petite virée. Je t’emmène faire un tour en ville. »

Le calife ouvrit de grands yeux. Non pas qu’il fut surpris par le la familiarité du vizir : c’était la règle dans ce genre d’entreprise. Pour ne pas se faire remarquer, les deux hommes se devaient de se comporter comme deux égaux, hommes du peuple parmi le peuple. Ce qui surpris le calife, c’était le prénom utilisé par Giafar. Un prénom féminin. Et le vêtement, une longue robe bleue de femme. Il eut un frisson.
Avant même qu’il puisse protester, deux serviteurs silencieux lui enfilèrent de force le vêtement par la tête. Haroun, alias Harouna, se retrouva engoncé dans ce tissu qui lui couvrait l’ensemble du corps, des semelles à la dernière boucle de ses cheveux. Seules ses mains dépassaient des longues manches, et il n’avait pour voir qu’une fente large d’un demi-pouce, approximativement située au niveau des yeux. Au premier pas qu’il fit en grommelant, il se prit les pieds dans un pli de sa robe et s‘étala par terre. Fort heureusement, le sol était couvert d’épais tapis. Le vizir y avait veillé, connaissant son maître, qui avait fait couper des têtes pour moins que ça. Il l’aida à se redresser, puis frappa des mains : aussitôt apparurent deux servantes. Avec une grande célérité, elles dessinèrent au henné sur chacune des mains potelées du souverain des motifs serrés qui cachaient habilement les poils qu’il avait sur le dos de la main et jusque sur les phalanges. Giafar, vêtu d’une robe jaune, se prêta au même camouflage.
Une fois terminés ces préparatifs, le vizir attrapa son maître par les épaules, le fit se lever, et d’une bonne tape appliqué sur son postérieur, le fit se tourner vers le grand miroir qui occupait tout un mur de la petite pièce. Les deux plus important personnages de l’Etat contemplèrent pendant de nombreuses secondes l’improbable couple qui se dressait devant eux : deux rombières des faubourgs de Bagdad, l’une, bleue, petite et grosse, l’autre, jaune,  inhabituellement grande et maigre.

« Appelle-moi Giafara » dit la forme en jaune en souriant des yeux. Et d’une nouvelle tape sur le derrière de sa compagne, elle l’entraîna par une porte secrète, dans un couloir à peine éclairé, qui se terminait par une autre porte qui s’ouvrit.

Elles se retrouvèrent dans une rue de la ville, et se mêlèrent à la foule. Harouna avait du mal à respirer sous sa coiffe et n’eut pas le temps de se plaindre que Giafara lui envoya un coup de coude dans les côtes pour lui intimer de se taire : même dans ce coin de la ville, la grosse voix du calife ne pouvait certes pas passer pour celle d’une femme.
C’était le soir, et la rue était encombrée de ces personnages qu’on trouve dans les contes orientaux : mendiants, marchants d’épices, charmeurs de serpents, musiciens, montreurs d’ours… Dans ce tumulte, Harouna ne vit pas l’étal d’un quincaillier, à même le sol. Il heurta du pied un objet qui lui arracha un juron. Il s’écarta pour éviter la bourrade de Giafara, et ramassa l’objet. C’était une vieille lampe à huile poussiéreuse. Il l’essuya d’un revers de la manche…
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