18 février 2006

Nicolas Bouvier

Comme souvent, j’avais laissé ce livre prendre la poussière sous ma table de nuit pendant quelques mois. Je l’avais reçu en cadeau de ma sœur pour mes 37 ans. J’ignore pourquoi je ne l’avais pas saisi plus tôt, dans cette pile qui traîne aux pieds de mon lit en permanence. Le nom de l’auteur m’était inconnu, le titre me semblait sentencieux peut-être, ou la couverture ne m’inspirait pas. Est-ce qu’il était le dernier qui restait de la pile ? Ou bien était-il simplement temps pour moi de le lire ? Un soir – c’était probablement le soir car je lis le plus souvent allongé sur mon lit avant de dormir – j’ai tendu la main et j’ai attrapé « l’usage du monde » de Nicolas Bouvier. A mes côtés, Béatrice dormait déjà, et c’est seul que j’entamais le voyage. Voyage lent, dans les années 50, de la Suisse à l’Inde, en passant par la Yougoslavie, la Grèce, la Turquie, l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan. Deux ans pour l’auteur et narrateur pour traverser ces lieux étranges, fascinants, avec un ami. Effrayants pour certains d’entre eux car ils sont associés aujourd’hui aux mots guerre civile, révolution islamiste, terrorisme.

Alors va, Nicolas, va sur les routes. Roule dans ta minuscule Fiat, dis-moi, raconte-moi les lieux et les gens comme tu le fais si bien. Tu dis bien peu de toi-même, mais portant, au fil du voyage, je te finis par bien te connaître. Tu me ressembles, Nicolas, même si tu es plus courageux que moi. Tes mots sont mes mots. Tes yeux, tes oreilles sont les miens, les miennes. Dans les champs macédoniens je me suis endormis. Mes mains se sont écorchées sur le moteur récalcitrant de la Fiat Topolino, cent fois démonté et réparé. J’ai senti le vent de la mer noire et le froid m’a transi à Tabriz, Iran, où j’ai passé l’hiver. La traversée abrutissante des déserts brûlants, la montée au ralenti des flancs de montagnes d’Asie. Quelle folie, Nicolas, quelle folie ce voyage. Merci pour tes mots, pour ta peau usée sur les sièges de la Topolino. Un autre que toi n’aurait pas tenu si longtemps. Voilà, un jour tu as traversé la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan à Khyber Pass et j’ai refermé le livre.

Ecrire, jouer de la musique rencontrer des gens magnifiques ou pitoyables, dangereux ou généreux, tu as su le faire à ta façon, une façon unique. Ma vie n’est pas la tienne, Nicolas. Mais je suis un peu plus libre, un peu plus courageux, inconscient ou clairvoyant grâce à toi, ici, chez moi.

Atelier « écrire la fiction », 17 février 06

Prévisions météo gratuites à 7 jours pour paris.