22 juin 2005

Aujourd’hui j’ai décidé de tuer

Aujourd’hui j’ai décidé de tuer mes peurs

Peur de grandir, peur de vieillir

Peur d’avoir mal, peur d’être bien

Peur de souffrir et peur de jouir

Peur de déplaire et peur de plaire

Peur de courir ou d’être lent

Peur d’oublier, de tout me rappeler

Peur de rater, de réussir

Peur des autres et peur de moi.

Dans un grand sac, je vais les mettre

Et du haut d’un ballon suspendu au ciel

Je les laisserai s’envoler

Aux quatre vents.


ASM, 22 juin 2005

13 juin 2005

Le productif et le tourmenté


Le productif et le tourmenté Posted by Hello

La jeune femme, allongée sur son transat, tient en fait dans ses mains un miroir réfléchissant, qui lui sert à bronzer. Derrière ses lunettes de soleil, elle ferme les yeux mais la lumière est si vive qu’elle fronce un peu les sourcils. Ce que les deux écrivains ont pris pour de la concentration n’est qu’une réaction à la lumière. Ce qu’ils ont pris pour un livre n’est qu’un miroir. La jeune femme ne connaît aucun des deux écrivains. Elle n’est pas du genre à lire les livres de l’écrivain tourmenté, ils lui tomberaient des mains. Elle n’est pas du genre non plus à lire les livres de l’écrivain productif, ni d’aucun autre écrivain non plus, en vérité, car elle ne lit que « Voici », et encore, elle ne fait que regarder les images.

Les deux écrivains sont si absorbés à imaginer cette femme lire, se concentrer, se passionner, qu’ils n’ont même pas remarqué qu’elle est pratiquement nue. Ces deux hommes sont tellement à leur idée de ce qu’est un écrivain et un livre, que derrière la lectrice ils ne voient pas la femme.

Pourtant, l’écrivain productif, dans ses livres si nets, si efficacement écrits, ne parle que de femmes et d’amours sans lendemains. Pourtant l’écrivain tourmenté, dans ses livres si âprement écrits, si désordonnés aussi, ne parle que de femmes et d’amours éternelles ou inaccessibles.

La jeune femme, pour tout autre homme que ces deux écrivains, apparaîtrait comme une très belle jeune femme pratiquement nue, offerte à leurs regards, à leurs désirs, à leurs fantasmes. Ils braqueraient leur longue vue sur son corps et non sur ce qu’ils prennent pour un livre. C’est ce que se dit leur éditeur commun, caché dans la pénombre du salon, à l’intérieur du chalet. Il observe la jeune femme à quelques mètres de lui et se dit qu’il l’a rudement bien choisie. Il a pensé que mettre cette beauté sous l’œil de l’écrivain productif le distrairait de son travail et le ferait écrire des livres moins directs, moins lisses, plus personnels peut être. Et que la même beauté, sous l’œil de l’écrivain tourmenté, lui donnerait de l’inspiration, de la fluidité dans l’écriture, de la légèreté. Mais caché dans l’ombre, il les observe maintenant avec sa longue vue, l’un comme l’autre absorbé dans leur propre observation d’une lectrice et non d’une belle jeune femme pratiquement nue, et il se dit qu’ils sont décidément trop cons.

ASM, 18 mai 2005

01 juin 2005

D’elle je ne savais rien

D’elle je ne savais rien. Presque rien. Je devinais sa vie à travers les cafés qu’elle prenait en bas de chez moi.

Chaque matin, à 8 heures, je descendais les 4 étages de mon immeuble pour faire un tour à la boulangerie : une baguette tradition pour moi, et un croissant pour Sam, mon cocker asthmatique. En remontant chez moi, je l’apercevais accoudée au comptoir, fumant élégamment une cigarette avec son café. Elle était rousse, d’un roux similaire à celui de Sam. C’est par cette couleur que mon regard avait accroché sa chevelure, un froid matin, le 10 avril 2001. Dès le numéro 23 de la rue des Acacias, je l’avais aperçu à travers la vitrine du café, situé au 32. J’avais traversé la rue sans pouvoir détacher mon regard de cette chevelure. Je n’y pensais même pas, mes yeux étaient rivés sur elle, et je tournais la tête à me la dévisser quand je dépassais le café pour entrer chez moi, au 34, avec ma « tradi » et mon croissant. Parfois je la voyais sortir du café, avec un manteau ou une veste, selon le temps qu’il faisait. Elle ne semblait jamais pressée. Je l’imaginais musicienne, ou peintre. Je ne savais rien d’elle.


Sam est mort le 7 juin. D’une crise d’asthme. Il avait 14 ans. Le lendemain, je descendis à 8 heures, et sans réfléchir, j’achetais une tradi et un croissant. Ce n’est qu’en arrivant au niveau du 23, rue des Acacias, en accrochant mon regard sur sa chevelure rousse, que dans un déclic je décidais d’entrer dans le café. Je m’accoudais au bar. Entre la chevelure et moi, il y avait un électricien en bleu de travail, qui partit une minute plus tard. Alors, il n’y eut plus entre elle et moi que la fumée de sa cigarette. Il y avait peu de bruits, si ce n’était ceux produits par le choc des tasses sur les soucoupes et par la vapeur du percolateur. La porte du café s’ouvrit et laissa entrer le bruit d’une moto dans la rue ainsi qu'un type qui, en passant devant nous, emporta la fumée dans son sillage.

Alors elle me parla pour la première fois. Six minutes plus tard, elle partit, tranquillement, comme à son habitude, mais en mangeant le croissant, que je lui avais offert. Le lendemain, elle refusa le croissant mais accepta un café.

Aujourd’hui, les cafés on les prend ensemble. D’elle je sais beaucoup mais je ne possède rien.

ASM, 1er juin 2005


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