15 décembre 2006

Venise, bateaux à la Dogana

Posted by Picasa

C’est à Venise, un jour de printemps, un peu frais, avec un beau soleil, quelques nuages épars dans un ciel bleu sombre au sud, de la brume au nord. Je suis posté, à l’embouchure du Grand Canal, à deux pas de la Dogana, près de la pointe de la Salute, avec la Guidecca et San Giorgio au fond, et le Lido comme un trait kaki au-delà, entre l’eau et le ciel.

L’eau est verte, bleue, jaune, et même blanche du côté de San Marco : c’est la brume, sans doute, qui s’y reflète. On distingue toutes sortes de traits et de tourbillons laissées par le pinceau et ces mouvements montrent les courants, la trace des bateaux, l’agitation de l’eau tout autant que celle du peintre. Les bateaux, justement, sont de formes et de types variés : gondoles, navire de transport à vapeur doté d’une imposante cheminée jaune, barques à rames, à voile ou motorisées transportant matériaux et marchandises, et même un deux-mâts de plaisance.

Le vent, les clapots, les bruits des moteurs et les cris des hommes envahisse l’espace, et en fermant les yeux, on entend les cloches d’une des innombrables églises de la ville.

J’ai faim. De mon poste d’observation, au deuxième étage de la maison qui m’accueille, je sens les bonnes odeurs qui sortent de la cuisine, au rez-de-chaussée. Si je baissais le regard, je verrais le quai des Zattere et la fumée, par fenêtre de la cuisine Aujourd’hui, c’est rizotto à l’encre de sèche. Je le sais, car mon hôtesse m’a encore invité de matin. Mais c’est mon douzième jour à Venise et j’ai eu l’occasion de goûter à ses plats délicieux, mais elle les accompagne de tellement de discours que je préfère fuir et prendre mon repas dans l’anonymat d’un lieu public particulièrement fréquenté. J’ai mes habitudes dans une petite taverne, près du campo Santa Margherita, à quelques minutes de marche.

On est en 1924 et les touristes comme moi sont peu nombreux. Ma taverne est donc pleine de Vénitiens, pêcheurs et marchands à l’accent zézayant, qui mangent des plats simples à base de riz et de fruits de mer, accompagnés de vin blanc de la région de Vénétie.

Je fais comme eux, et je les observe tranquillement de ma table, que je choisis toujours près de la porte, afin d’avoir le plus de lumière naturelle possible, car la taverne est fort peu éclairée de l’intérieur. Après avoir mangé, je reste à long moment à écrire. Mon roman avance bien. C’est fou comme c’est facile de raconter la vie de personnages totalement étrangers à ce lieu. Mon héros vis entre Paris et la Normandie, c’est un intellectuel engagé dans le combat contre le fanatisme religieux, alors que je suis entouré de rufians qui ne manquent jamais de se signer devant la petite statue de la Vierge éclairées par une bougie qui occupe une niche à l’entrée de la taverne. Elle est jolie, cette Vierge, avec ses vêtements colorés et son air si doux. Elle me rappelle la jeune madame V., que je vais rejoindre à 3 heures par une arrière-porte de son palazzo du quartier San Polo, et à qui je vais donner des leçons de français par l’imposition des mains. Elle fait beaucoup de progrès, à mon grand plaisir. Je crois bien que son mari me sera un jour reconnaissant de cet enseignement. Par chance, il passe l’essentiel de son temps dans ses terres près de Padoue, ce qui nous laisse tout le temps d’approfondir les subtilités de la langue. Vers 6 heures, je vais traîner dans quelque café, où je gratte quelques feuillets de plus devant une de ces boissons amères, orange, au nom autrichien que je ne peux retenir.

Puis je retourne me changer dans ma chambre, observe à nouveau ce paysage d’eau et de ciel, maintenant dans l’obscurité, et file participer à un de ces dîners ou fêtes comme seuls les habitants de cette cité décadente savent en organiser. Je me couche aux petites heures du matin, en rêvant à un lendemain aussi parfait qu’aujourd’hui.


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