26 mars 2005

Vision

Ce matin, en arrivant au boulot, tout était changé.

D’abord, le code de la porte d’entrée, en sortant des ascenseurs. Impossible d’ouvrir. J’ai essayé tous les codes que j’ai jamais mémorisés dans ma pauvre tête : ceux de cette porte durant les 3 dernières années, puis ceux de chez moi, celui de l’alarme de ma voiture, celui de mon ordinateur, ceux de mes différents emails, de mon téléphone portable, de mes cartes de crédit, de ma carte Fnac, de ma carte de sport, de ma carte RATP, de ma carte du parti.

Puis j’ai essayé toutes les combinaisons de mon âge, ceux de mes enfants, de ma femme, de mes parents, frères et sœurs, neveux, beaux-frères et belles-sœurs.

Ensuite j’ai tenté le code secret que mon amoureuse de quand j’avais dix ans m’avais confié pour accéder à son cœur. Isabelle, elle s’appelait.

A ce moment, ma porte s’est ouverte et un type avec une casquette est sorti. Alors j’ai dit pardon et je suis rentré en vitesse.

Tout, tout avait changé : les couleurs de la moquette, des murs, les images accrochés aux murs dans les couloirs : à la place de photos de bateaux, il y avait des reproductions de peintures abstraites.

Un homme est sorti du bureau de Charles Ferrand. Il était petit et plutôt gros, et portait un polo. Charles, il est grand, plutôt mince et il porte toujours une chemise bleue et une cravate à nounours (un cadeau de sa mère). Cet homme m’a regardé avec un air soupçonneux, c’est quand même incroyable les gens.

J’ai dit : « Charles » en levant l’index de la main gauche. Le petit gros m’a dit « c’est demain » et il est parti dans le couloir en direction de la cafétéria, après avoir soigneusement fermé la porte du bureau de Charles à clé.

Je l’ai suivi, parce que moi, sans le café du matin, je ne suis rien.

A la cafète, il n’y avait que des nouveaux.

Ils m’ont regardé bizarrement. Mais j’ai l’habitude. Alors j’ai fait la queue, et puis quand ça a été mon tour, j’ai introduis mon badge.

Mais ça a bipé.

« Merde, plus de sous dans le badge », j’ai dit tout haut, et tout le monde s’est arrêté de parler. D’habitude, il y a toujours quelqu’un pour le dépanner, mais là, je n’ai pas osé demander aux nouveaux.

« Pas grave », j’ai dit, et je suis sorti par la porte vitrée de la cafète. Juste avant qu’elle se ferme, j’ai cru entendre un rire.

Je me suis dit : « mon vieux, sans ton café, tu n’es rien », et j’ai décidé d’aller recharger mon badge au 13ème étage. J’ai pris l’ascenseur. Au moins, là, je m’y retrouvais, et ça m’a fait plaisir de voyager en terrain connu.

Mais bon, au 13ème, encore pire : même les murs et les couloirs avaient changé de place. J’ai retrouvé la cafète du 13ème à l’instinct, parce que je suis vraiment bon pour trouver le café : un vrai chasseur.

Hélas, là, mauvaise surprise : le rechargeur de badge n’était plus là !

« La cata », je me dis, et j’étais là les bras les bras ballants. J’ai senti la fumé d’une cigarette, et j’ai cessé de regardé l’emplacement vide sur le mur où ils avaient enlevé le rechargeur de badges, ces idiots, et je me suis tourné, et je l’ai vue.

Cette fille, elle était, comment dire, belle. « Belle comme Isabelle », j’ai pensé. Mon amour de 10 ans. « C’est drôle », j’ai pensé.

Elle fumait en me regardant, et elle souriait sans rien dire. On est resté une bonne minute comme ça.

Puis j’ai levé l’index gauche pour dire quelque chose, mais, elle s’est levée au même moment du tabouret sur lequel elle était assise, et je n’ai rien dit, à cause de ses jambes, qu’elle avait déplié. Elle a déplissé sa jupe tout en continuant à me sourire, et elle s’est approchée de la machine à café.

J’ai baissé l’index et j’ai gardé les bras ballants. Elle a posé un doigt sur la touche « café long » et a fait un tout petit geste interrogatif du menton et des yeux. J’ai fait « oui » en secouant la tête. Elle a appuyé et n’a relâché son doigt que quand le gobelet a été rempli.

Alors elle est sortie de la cafète en balançant des hanches. Elle m’a lancé un dernier sourire de l’autre côté de la porte en verre et a disparu.

J’ai pris le café et je me suis brûlé les lèvres. Je pensais à ses lèvres à elle.

Au bout d’un moment, j’ai jeté le gobelet et je suis sortie moi aussi de la cafète. Si je suis bon pour trouver la cafète, j’ai été plutôt mauvais pour retrouver les ascenseurs. A vrai dire je ne les ai pas retrouvés. Il n’y avait personne dans les couloirs. Je voyais des gens dans les bureaux par les parois de vitrées mais je n’osais pas frapper. J’ai fini par trouver l’escalier de secours, et je suis descendu jusqu’au rez-de-chaussée, une bonne partie dans le noir car la lumière s’est éteinte et je n’ai pas trouvé d’interrupteur.

Je me suis retrouvé à l’extérieur du bâtiment, et la porte s’est claquée derrière moi. J’ai entrepris de contourner l’immeuble pour retrouver l’entrée principale. Arrivé à l’entrée, je me suis aperçu que ça n’était pas le bon immeuble. Dans le quartier ils se ressemblent tous.

19 mars 2005

Balançoire

Mon fils rit et me dit « pousse-moi plus haut, papa ! », et moi je le pousse encore et encore, jusqu’à ce qu’il dise « arrête, papa ! », et je sais qu’il a un peu peur, mais je veux qu’il dépasse sa peur d’un petit cran, alors je le pousse encore une fois, et du bout des pieds il effleure le ciel, accroché à sa balançoire.

17 mars 2005

Printemps

C’était un jour d’un jaune éclatant.

Au centre d’appel où je travaille, tout le monde vibrait. On aurait dit qu’on leur avait collé une pile dans le derche. Il faut dire que le printemps avait sonné la charge, avec quelques jours d’avance. La chaleur suintait et je sentais monter la sève tout autour de moi. J’ai lâché précipitamment mon clavier braille et mon casque : Amandine était passé pour me dire de me magner le train, pour le club de piscine. J’oublie toujours l’heure, et elle le sait, alors elle passe me secouer les puces.

J’ai pris l’escalier ; il y bien un ascenseur mais il tombe souvent en carafe. D’ailleurs, je sais exactement quand ça va arriver, à la façon dont les câbles vibrent jusque dans mes pieds. Et puis, je déteste les ascenseurs, ils puent le tabac froid et tout y est poisseux. Et ça me fait du bien de me dégourdir les arpions.

J’étais au niveau du troisième, et une fille montait au second en soufflant. J’ai entendu la minuterie qui s’arrêtait. Aussitôt, elle s’est mise à chercher le bouton à tâtons. Moi je suis descendu, tranquille, et je me suis placé à côté du bouton. Quand elle l’a trouvé et qu ‘elle a appuyé dessus, elle m’a vu et elle a hurlé.Puis elle s’est excusée. Je suis parti, sans rien dire, mine de rien, et je me suis bien marré, j’adore ce coup-là.

Dans la rue, il y avait plein de gens. Surtout des touristes qui traînaient. D’habitude, j’ai du mal à les éviter parce qu’ils cherchent leur chemin, ils ne font pas attention. Mais là, ils étaient en sueur, je les repérais à 3 mètres.

Les Parisiens, eux, ils tracent, ils savent où ils vont, j’entends le petit pas de côté qu’ils font pour m’éviter.

Trop de monde dans l’escalier du métro : j’ai du utiliser la rampe en aluminium froid pour me tenir.

Je déteste la ligne 14 à la station Madeleine : tout est neuf, on sent le bois, le verre, le métal mais ça pu les égouts. Ces cons, quand ils ont creusé la station, ils ont percé des tuyaux, et ça fuit de partout. Au début, je manquais de me ramasser, entre les flaques et les bassines qu’ils mettent partout. Mais maintenant, je connais les fuites par cœur et je détecte même les nouvelles avant eux.

A part l’odeur, j’aime bien traîner sur le quai du métro. Il y a plein de filles. J’aime bien quand elles m’observent. C’est surtout les touriste qui font ça, les Parisiennes sont plus discrètes. Je me dis : Paulo, tu représentes la France, faut faire bonne figure. Et je fais un beau sourire, ça leur plait. Celles qui m’énervent, c’est les Américaines, avec leur chewing-gum. J’ai horreur qu’on me mâche dans les esgourdes.

Quelques fois, la rame est pleine, ça déborde, alors je la laisse passer, j’attends la suivante. Mais là, rien à faire, heure de pointe. A la deuxième, j’ai du monter, sinon la piscine était à l’eau. Quand il y a de la place, je me colle face à la première place à droite de l’entrée. J’attends quelques secondes et je m’assois. Il est rare que je me retrouve sur les genoux de quelqu'un, ils s’enlèvent avant.
Mais là, c’était blindé. J’ai foncé dans le tas et j’ai attrapé une poignée. J’étais entouré par une bande d’ados bruyants, genre sortie de classe. Mais il y avait cette fille, à ma gauche. A chaque cahot, elle levait la main, pour me retenir. Elle ne m’a pas touché, au début, alors j’ai un peu exagéré le mouvement et j’ai senti sa main sur mon épaule, à peine effleurée. Elle me plaisait.

Dommage, elle n’est pas descendue à Châtelet avec moi.

Enfin, après tout ça j’ai fait une bonne séance de natation et ça m’a rafraîchi les idées.


ASM, 16 mars 2005

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