09 janvier 2007

Le poids des mots

Je n’ai jamais été à l’aise pour lire debout. Qui aurait envie de le faire ? Il faut y être contraint pour se mettre dans un tel état d’inconfort. Dans une rame de métro bondée, il peut arriver que pour échapper au sentiment d’oppression, je tente de me plonger dans l’univers d’un livre. Mais gare à moi s’il n’est pas dans une de ces éditions de poche que l’on peut tenir d’une seule main : les cahots, les bras des voisins qui s’agrippent aux barres et vous passent sous le nez, les yeux indiscrets qui lisent derrière votre épaule, les mouvements des voyageurs qui montent et descendent, tout concourt à vous rendre la chose difficile.

Nul doute que ma position préférée est la position allongée, sur le dos. Etrange, me direz-vous. On a les bras en suspension, et là encore, il vaut mieux un petit livre qu’un gros pour ne pas fatiguer. Et pourtant ! Malgré le risque de crampe, j’ai lu, adolescent, les œuvres complètes de Proust en édition Pléiade dans cette position. Le livre m’est tombé des mains plus d’une fois, mais je n’ai pas baissé les bras pour autant. Ce livre en papier bible dégageait une odeur tenace, caractéristique, comme tous les Pléiade neufs que j’ai pu lire. Si je fermais les yeux et que je tendais la main vers la pile de livres qui trônait au pied de mon lit, et que j’attrapais celui-ci par hasard, en le portant à mes narines, je savais tout de suite que c’était lui. Quand je lisais dans mon lit, je tenais le livre le corps légèrement tourné sur le côté, un bras en l’air, l’autre venant en support dans une sorte d’étayage qui me permettait de tenir plus longtemps. Régulièrement, je changeais de côté. Après quelques heures à ce rythme, mes yeux me piquaient du fait du manque de bon éclairage et du sommeil. Alors je posais soigneusement le lourd objet sur la pile, par terre, et mes bras endoloris en devenaient tout légers ; je les laissais enfin se reposer et se détendre, en fermant les yeux sur l’histoire que je venais de quitter.

A Noël et à mon anniversaire, en janvier, je recevais des gros livres : œuvres complètes, essais, dernier roman d’un auteur que mon père ou l’un de mes sœurs voulaient me faire découvrir. Les nuits qui suivaient étaient forcément longues, et malgré le froid de l’hiver, j’étais en sueur au fond de mon lit, du fait de l’urgence de tourner les pages.

L’été et les vacances ont toujours été associés aux lectures en plein soleil. Là encore, c’est la position allongée qui prévaut – dans un hamac ou sur une chaise longue. Et là encore, j’ai passé de longues heures, muscles des bras tétanisés, à lire un best-seller bien épais. L’avantage du hamac est qu’il est accroché à deux arbres qui font de l’ombre, et qu’on aisément déplier le bras pour reposer le livre sur sa cuisse, fermer les yeux, et se laisser emporter par le souffle du vent sur la peau nue, le léger mouvement de balancier qui vous berce, et les bruits alentour filtrés par la ouate du tissu sur lequel est collée l’oreille. En un rien de temps, on part dans une rêverie.
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