26 septembre 2008

La chemise bleue

Ma belle chemise bleue, je te dis adieu. C’est décidé, demain tu pars à la poubelle. Tu es toute tachée, toute déchirée, et ça fait des mois que je te porte plus. Mais je t’ai gardée longtemps dans mon placard, accrochée à un cintre, et souvent, en ouvrant le placard, j’ai fait ce geste de t’effleure au col, comme Maud le faisait quand je te portais.

Tu es si douce, en popeline bleu ciel. C’est Maud qui t’avait trouvée dans une friperie. Nous nous connaissions encore si peu ! Elle t’avais offerte à moi, un jour de mai, il y a 5 ans. Je t’avais tout de suite adoré, tu étais si douce sur ma peau. J’avais fait ce geste de laisser mon index parcourir la point du col devant Maud, et elle l’avait remarqué. Elle avait pris l’habitude, chaque fois qu’elle m’embrassait, de faire ce même geste, sensuel et tendre.

Le jour où elle était venue habiter chez moi, elle m’avait poussé sur le lit et avait tiré si fort sur toi que trois boutons avaient sauté. Je ne suis pas très doué pour la couture, et Maud non plus. J’avais remis deux des trois boutons en place, mais je n’ai jamais retrouvé le dernier, celui du bas.

Pendant l’été, il y trois ans, nous avions fait un tour en barque sur le lac d’Annecy. Je ramais, et tu t’étais prise dans le siège coulissant, qui avait fait une déchirure dans le tissu. Maud avait dit : ça n’est pas grave, je t’en achèterai une autre. Mais elle ne l’a pas fait.

L’année dernière, Maud et moi, nous nous sommes disputés, pour la dernière fois, chez des amis. En plein dîner, elle s’était levée, et elle m’avait jeté son verre de vin rouge à la figure. Les tâches dont tu fus constellé ne sont jamais parties au lavage. Maud, elle, est partie. C’était il y a un an.
La dernière fois que je t’ai mise, c’était pour peindre mon nouvel appartement. Voilà, tu vois, tu as fait ton temps, ma jolie chemise bleue, adieu. Je penserai souvent à toi, en regardant cette photo prise un jour sur le lac d’Annecy où nous étions tous les trois, toi, Maud et moi.

19 septembre 2008

Je me souviens du froid

Je me souviens du froid qu’il faisait quand on se réveillait. Nos chambres étaient sous les toits, et l’air froid passait par les jointures des fenêtres et par la tôle du toit mal isolé. Le chauffage était coupé, la nuit, et les couvertures de laine glissaient souvent sur le côté du lit.
Au bruit du réveil, on se pelotonnait, on s’enroulait dans le drap, dans les couvertures qu’on mettait en boule pour boucher chaque espace où le froid nous piquait, et on fermait les poings et le yeux, pour garder encore quelques instants la douceur de nos rêves.
Puis notre mère passait dans chaque chambre, elle criait : « debout ! allez allez ! », et on se levait à contre-cœur. On attrapait des vêtements dans le placard, on s’habillait vite, mais les chaussettes coinçaient, un fil entre les doigts de pieds, et il fallait s’y prendre à deux fois.
On s’engueulait un peu pour accéder aux toilettes, les plus grandes avaient toujours l’avantage sur les plus petits.
On descendait les escaliers pour aller prendre le petit déjeuner. Mes deux petits frères, eux, glissaient, assis sur les marches, dans leur turbulette.
Le bas de l’appartement était moins froid, ma mère faisait chauffer du lait qui souvent débordait. On prenait un chocolat chaud, du cacao Van Houten auquel on ajoutait du sucre et du lait, qui faisait une peau en surface du liquide si on le laissait refroidir.
Quand il n’y avait plus de lait, notre mère en fabriquait, avec du lait en poudre et de l’eau, ou avec du lait concentré non sucré gloria en boite de conserve. Nous adorions manger la poudre de lait, qui séchait instantanément la bouche et qui crissait sous les dents. A chacun de ses voyages, notre père nous ramenait des petites pochettes de lait en poudre pris dans les avions.
Nous faisions griller du pain sur une plaque posée sur le gaz : les tranches de pain étaient souvent brûlées, ça ne pardonnait pas d’oublier de les retourner ou de les retirer du feu. Nous mettions du beurre, de la confiture prise dans un grand pot, où la cuillère tombait, et on s’en mettait plein les doigts. Notre mère nous disait : « papa sera là la semaine prochaine ».
Puis on partait en courant pour l’école en claquant la porte, qui vibrait comme un gong pendant plusieurs secondes.
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